Avant chaque match à domicile, Jean-Luc Chovelon* livre sa Chronique de l’Ancien. Référence est faite, aujourd’hui, à l’inauguration de la nouvelle tribune Nord il y a une dizaine de jours.
L’écrin noir de nos nuits blanches
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je trouve que ce stade commence à avoir de la gueule. En général, on dit que ce sont plutôt les supporters qui ont de la gueule mais il est probable qu’ils en ont parce que, justement, le stade devient le théâtre de leur passion. Ce n’est pas qu’une question d’architecture, c’est aussi un lent apprentissage où l’on apprivoise la résonance du lieu, sa lumière, l’abri du vent et de la pluie et tant de détails encore pour que, lentement, on se sente réellement chez nous, à la maison…
« Un espace tout en longueur avec une butte et un muret,
qu’on appelait le « frigo » »
Lorsque l’Aix Rugby Club est né, en 1970, il n’a pas attendu longtemps pour créer son stade. Monsieur Julien, père de Francis et de Bernard qui allaient devenir des joueurs essentiels dans l’histoire du club, est arrivé un jour sur son tracteur (il était agriculteur) et a tracé un terrain au cœur de cette campagne aixoise qui, à l’époque, ne manquait pas d’espace. Longtemps, le Stade du Jas-de-Bouffan, ou Stade de l’Ouest, se résumait en une tribune en béton, là-même où se trouve la tribune présidentielle aujourd’hui, et un terrain entouré d’une piste d’athlétisme. Pendant plus de trente ans, ce stade était notre église. Les réfections y étaient rares et, je me souviens, un concert de Tina Turner en 1990 ou 91 nous avait offert une couche de peinture dans les vestiaires. Quant à la pelouse, elle était souvent surchargée en sable (pour le drainage des pluies hivernales, j’imagine) et nous meurtrissait les genoux et les coudes, nous arrachant quelques grimaces au moment de passer sous la douche. A l’époque, le siège du club se trouvait sous les tribunes, c’est là qu’on refaisait le monde. Mais il y avait un endroit magique dans ce stade, entre les tribunes et le terrain. Un espace tout en longueur avec une butte et un muret, qu’on appelait le « frigo », sans doute parce qu’il était privé de soleil l’essentiel de l’hiver (il n’y avait pas de nocturne à cette époque) et aussi parce que le Mistral s‘y engouffrait. C’est à cet endroit que, les jours de match, battait le coeur du club. Debout, les dirigeants se mêlaient aux remplaçants, aux entraîneurs, aux joueurs blessés et à ceux de la réserve…
Lorsque cette tribune originelle a disparu (en 2004 si mes souvenirs sont bons) et lors des nombreux travaux qui ont agrandi l’écrin des Noirs jusqu’à en devenir le stade que vous connaissez aujourd’hui, l’âme du club a dû se trouver un autre lieu de repos.
Je ne sais pas s‘il l’a trouvé ou peut-être sont ils plusieurs, en autant de lieux où, le vendredi soir, l’âme des supporters s’épanchent, un verre à la main, pour refaire inlassablement le monde.
Jean-Luc Chovelon
* Jean-Luc Chovelon, ancien joueur du club, a longtemps été journaliste avant de se consacrer à l’écriture pour les entreprises comme pour les particuliers. Plus de renseignements sur son site chovelon.com.