Régis Lespinas : « C’était la débrouille »

Il fait actuellement la Une du dernier Ruck Magazine qui, dans ce 53ème numéro, part à la découverte de ce joueur atypique. Voici son interview.

 

Avant lui, il y avait eu Christian Califano en 2001. Régis Lespinas est l’un des tout-premiers joueurs français à s’être exilé en Nouvelle-Zélande pour jouer au rugby. Capitaine du Provence Rugby 2017, le demi d’ouverture fait partie de ces rugbymen que le ballon ovale a façonné. De Brive à la Provence en passant par le pays des Kiwis, itinéraire d’un joueur pas comme les autres.

 

 

 

Hashtag #JIFFenbalade, ça te rappelle quelque chose ?

 

(rire) Oui, il faut remettre ça dans son contexte. Ça faisait 10 ans que j’étais rugbyman professionnel et pour beaucoup de raisons, ma carrière était en perte de vitesse. Il y avait de la lassitude, une blessure, un gros échec avec Lyon l’année avec « Seb »Chabal et Lionel Nallet… J’avais besoin de faire quelque chose de nouveau dans ma carrière mais je n’étais pas prêt à jouer dans les niveaux inférieurs. Je sentais que j’avais encore quelque chose à faire mais malheureusement les opportunités n’étaient pas là. J’ai décidé de tenter quelque chose : partir jouer là où personne n’avait été et communiquer là-dessus. Pour ne pas qu’on m’oublie. Je suis donc parti en Nouvelle-Zélande.

 

Il y avait donc un vrai objectif de communication personnelle derrière ça…

 

Oui, parce que je sentais que je n’étais pas fini. Il fallait que je trouve un moyen pour qu’on parle de moi, et en bien, pour ne pas être oublié. Parce que ça va très vite.

 

Tu trouves la vie de rugbyman difficile ?

 

On ne peut pas se plaindre parce qu’on fait ce qu’on aime. Mais quand même… Je ne suis pas sûr qu’il y ait d’autres milieux professionnels aussi concurrentiels que le nôtre. Et encore plus en France. C’est un entonnoir. Il y a nous, les Français, qui voulons jouer et décrocher des contrats, et on est concurrencés par le monde entier. Tout le monde veut venir jouer ici. Sans que l’on ait les mêmes ambitions financières…

 

lespinasQu’est-ce que tu retires de cette expérience en Nouvelle-Zélande ?

 

J’ai beaucoup appris sur moi. Il a fallu aller vers les autres, il a fallu s’ouvrir, se débrouiller, mettre le pied dans des portes qui étaient à peine ouvertes… C’était la débrouille. Quand tu es joueur pro, tu as tout qui te tombe tout cuit dans la bouche depuis que tu es au lycée. Et là, à 28 ans, je me suis mis en danger. C’était important pour moi de devoir aller chercher les choses par moi-même.

 

Et notamment un contrat pro puisque tu as dû commencer chez les amateurs…

 

J’en ai discuté avec mon agent, il y avait son collaborateur néo-zélandais. Je lui ai dit : « comment pouvez-vous m’aider ? » Ils m’a répondu : « je peux te trouver un club amateur. Il faudra que tu sois bon et les opportunités d’aller plus haut devraient arriver ». Sur le terrain ça s’est bien passé et la province où j’étais avait besoin d’un mec à mon poste. Et moi, étant dans le coin et avec un peu d’expérience, ils se sont dit « on va le signer ».

 

Au final tu comptabilises près de 180 matchs de Top 14 et cette année, tu te retrouves à aller disputer des matchs à Aubenas ou à Romans. Sans faire injure à ces clubs-là, c’est quand même bien moins séduisant…

 

Les trois ans que je viens de passer à « Oyo » ont été super riches. Il y a eu un maintien alors que personne ne croyait en nous, une qualification en coupe d’Europe et finalement une relégation. C’est quand même trois moments qui sont intenses émotionnellement. J’ai 31 ans et j’étais prêt à passer à autre chose. Je n’ai aucun regret sur ma carrière. J’ai toujours été au maximum de mes possibilités. Par l’entraînement, par l’investissement. J’ai optimisé tout ce que j’avais à optimiser. Aujourd’hui, avec d’autres, j’ai la possibilité de partager mon expérience, mon vécu. Et d’accompagner un club qui est hyper ambitieux. Le club veut grandir et il a choisi de faire appel à moi. C’est très valorisant. Je ne pouvais pas rater ça.

 

Tu sembles assoiffé de nouveaux défis…

 

J’aime beaucoup réussir là où on pense que je vais échouer. Que ce soit sur le terrain ou dans la vie. Quand je suis parti en Nouvelle-Zélande, tout le monde m’a dit : « Tu vas te perdre ! » J’en suis revenu avec beaucoup de messages de personnes qui s’excusaient. A Oyonnax, je suis arrivé alors qu’il y avait un mec hyper « en place » : Benjamin Urdapilleta. J’ai réussi à jouer quelques matchs à l’ouverture mais surtout beaucoup à l’arrière. J’ai réussi à trouver un moyen pour réussir à être impliqué dans « le truc ». Je cherche toujours à rebondir. A trouver les solutions pour réussir. Il y en a toujours. Mais c’est la volonté qui prime.

 

Parmi tous les coachs que tu as eus, où places-tu Marc Delpoux ?

 

Marc a une réflexion sur le jeu que peu d’entraîneurs ont. Dans la façon dont il veut il faire jouer son équipe notamment. J’ai l’impression que, chez lui, les grandes lignes sont là depuis longtemps : le mouvement, l’importance des détails et, malgré une organisation rigoureuse, la part belle à l’initiative individuelle. C’est un jeu qui vit. Pour nous, joueurs, pouvoir évoluer dans un système de jeu comme celui-ci, c’est exceptionnel.

 

Fabien Cibray, que tu connais bien, s’est engagé pour la saison prochaine. Tu peux nous brosser son portrait ?

 

Je le connais depuis longtemps puisqu’on faisait les équipes de France de jeunes ensemble. On a aussi été partenaires à Lyon puis à « Oyo ». C’est un vrai compétiteur, qui ne lâche jamais. Un meneur d’hommes. Un mec qui a « de la gueule ». Il aboie beaucoup, il organise. Il arrive à sentir la tournure que va prendre un match et qui peut donc être là en gestionnaire. C’est un recrutement qui est hyper intéressant pour le club.

 

lespiQu’est-ce que tu comptes faire après ta carrière ?

 

Je veux faire partager ce que j’ai vécu en Nouvelle-Zélande. Je vais essayer de proposer aux jeunes joueurs français un accompagnement s’ils veulent aller vivre une expérience similaire à la mienne : trouver des clubs, des endroits où s’entraîner, des opportunités de travail sur place… Pour moi, la Nouvelle-Zélande, c’est quasiment le sommet de ma carrière. Pour certains, ce sont les sélections internationales ou les titres. Pour moi, c’est cette expérience humaine.

 

Lors de notre dernière Table Ovale, Jacques Delmas disait « des beaux projets dans le rugby français, il n’y en a pas beaucoup. Il y en avait un à Lyon et il y en a un à Provence Rugby aujourd’hui ». Tu as connu les deux, est-ce que tu es d’accord pour ce parallèle ?

 

Ce sont deux projets portés par des hommes : Olivier Ginon à Lyon et Denis Philipon à Provence Rugby. J’ai l’impression qu’ils n’ont pas la même approche. GL Events a voulu réussir vite et a connu beaucoup d’échecs – et je suis bien placé pour en témoigner puisque j’en ai fait partie -. J’ai l’impression, ici, que Denis vit plus la chose pour le plaisir du rugby. Bien évidemment, lorsqu’on investit de l’argent on veut que ça réussisse. Mais on le voit quotidiennement, on le voit s’impliquer dans le développement de la marque Provence Rugby… L’approche est plus globale. Peut-être que je me trompe mais il me semble que Lyon a fait beaucoup de marketing avec Chabal, Nallet ou Michalak… Ça finit par marcher, on le voit cette année. Mais ici, je le vois plus comme le Montpellier que j’ai connu. Un club encore famille où tout le monde connaît tout le monde. Je trouve que c’est important.

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